Console Syndrôme n°11 : Metal Gear Solid Rising, faut-il blasphèmer?
Voici un nouvel article dans ce onzième rendez-vous avec l'équipe de Console Syndrôme. On va aller encore une fois dans le spectre de l'analyse avec Metal Gear Rising, aka le rejeton qui se rebelle contre Sony. L'E3 nous a apporté plus de précision sur ce prochain titre mettant en scène Raiden et son épée qui coupe au détail ! Ces révélations suscitent l'interrogation des fans de la saga myhtique de Mr Kojima. Blasphème? Nouvelle expérience de jeu? L'article ci-dessous va vous donner les clés pour la réflexion... Bonne lecture.
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Est-ce une hérésie ? C’est arrivé lors d’une communion banale entre les éditeurs et les visiteurs du salon de l’E3, Metal Gear Rising s’est confirmé dans un teaser pêchu. Raiden revient du paradis des personnages imaginaires, il est ressuscité ! Encore une fois, il va avoir le privilège d’être le personnage principal et d’exaucer les désirs de ceux qui souhaitent agiter le katana. Mais il n’est plus entre les mains de son Dieu, Kojima, il est sacrifié à de nouveaux prêtres qui prêchent leur bonne parole : On peut tout découper. Nombreux sont les fan(atiques) qui tremblent de peur et d’indignation, ils redoutent la dénaturation de l’oeuvre et du personnage. Ils ont raison d’avoir peur, mais pourvu qu’au lieu d’une simple louange, ces développeurs nous gratifient d’un blasphème !
Cela va vous paraître surprenant, mais j’aimerais faire un parallèle avec le personnage de Sherlock Holmes. En effet, le célèbre détective que vous avez peut-être dernièrement vue dans le film de Guy Ritchie continue d’être une source d’inspiration. Il s’est émancipé de son créateur, Sir Arthur Conan Doyle, et continue d’exister dans nos mémoires et la plume d’autrui. Pourtant Holmes aurait dû mourir, assassiné par son propre père, Doyle qui l’a imaginé de toutes pièces. En effet, si Holmes a construit la popularité de son auteur, il a aussi bâti les murs de sa prison. Doyle était devenu victime de sa propre gloire ! Holmes l’empêchait de tourner la page et de s’attacher à des sujets et des livres plus importants. C’est alors que Doyle commît le meurtre du détective et le fît mourir lors d’une confrontation. Peine perdue, c’était sans compter sur la pression des fans qui n’avaient pas besoin des jeux vidéo pour perdre le sens des réalités, un bon livre suffit, et ils réclamèrent le retour de l’être imaginaire. Le mot ‘mort’ ne pouvait être accolé au plus grand des détectives, sous la pression des fans et des éditeurs, Doyle a dû se résoudre à le “ressusciter”. Et ainsi, un personnage fictif a pris le pas sur la réalité, au détriment de son auteur.
La situation de Doyle me rappelle celle de Kojima dont la renommé n’est plus à préciser. Malgré qu’il est travaillé sur d’autres jeux tel que Zone of The Ender, Boktai ou encore Policenauts, c’est la série Metal Gear et particulièrement Solid Snake qui ont édifiés sa réputation. MGS est une série qui devait se terminer au second épisode. Metal Gear Solid 2 : Sons of Liberty devait être le point final. On rencontrait Snake avec ses propres idéaux et qui agissait de sa propre initiative. Nous incarnions un personnage-pantin qui au fur à mesure de la trame s’émancipait et construisait sa propre identité. La fin sonnait alors comme un retour à la réalité ou le joueur reprenait sa vie. Mais tout comme Doyle l’a vécu, on peut imaginer la pression derrière Kojima, désormais captif de l’attente des fans et des enjeux économiques.Alors qu’il avait annoncé ne pas réaliser Metal Gear Solid 4, c’est lui qui se retrouvera finalement aux commandes. Le Der des Ders pour Solid Snake ou sa mort nous est suggérée dès le menu principal. Kojima s’est libéré de Snake qu’elle que soit la fin du jeu. Il est maintenant vieux et anachronique, le héros légendaire a fait son devoir mais il n’est plus utile autant pour le joueur que son créateur.
Ce n’est pas terminé pour autant et le jeu laisse de nombreuses pistes que l’auteur peut emprunter sans Solid Snake. En voilà une de ces pistes : Raiden. Kojima peut cependant dormir en paix puisqu’il passe le flambeau à Shigenobu Matsuyama. Désormais il n’est que le producteur et définit son rôle ainsi : donner à cette nouvelle équipe le maximum de liberté. Ainsi, Metal Gear va commencer à exister sans son géniteur et se détache progressivement du respect exagéré qui entoure les chefs d’oeuvres. Toute la question est de savoir si Matsuyama osera outrepasser les limites ou juste les respecter.
Le fan est une créature étrange, capable de sacraliser un auteur tout comme il peut rapidement devenir son pire ennemi s’il se sent trahi. Heureusement, le fan meurt et les carcans dans lesquels il enferme l’oeuvre finissent par s’effriter. On peut alors trahir sans regret, on peut recréer sans que l’on crie à « l’irrespect », on peut enrichir sans être comparé et rabaissé à l’oeuvre originale, on peut réinventer et transposer à une autre époque et un autre lieu. Bien sûr, il arrive que l’on appauvri et défigure le matériau original mais même cela peut devenir bénéfique pour faire connaître l’oeuvre authentique. C’est le cas de Holmes.
Un jour, Doyle reçut une requête. En effet, il était question d’adapter les aventures de Sherlock Holmes au théâtre. L’acteur William Gillette qui allait lui-même interpréter Holmes demandait la permission de marier le détective. Vous imaginez !? Holmes, un homme marié ! Lui qui semble si lointain des femmes et des promesses solennelles devant un prêtre. Sir Arthur Conan Doyle écrivit une réponse sans équivoque : « Mariez-le, assassinez-le, faites de lui ce que vous voudrez ». Depuis l’homme à la loupe fût l’objet de nombreuses nouvelles, interprétations et pastiches. Il est devenu beaucoup de choses, des interprétations qui auraient pu pousser au suicide et au meurtre ses fans les plus excessifs. Un jour, Holmes tente de percer les mystères du caleçon de la mort, le lendemain il nous est révélé que Watson est une femme ou Holmes un homosexuel refoulé. Est-il vraiment ce justicier qui résout toutes les affaires ou un drogué égoïste en manque de sensations ? A moins qu’il ne soit qu’un grillon inspectant dans Insecteville ou un détective qui se déguise en chien. Voilà un avant-goût de ce qu’a pu être Sherlock Holmes, il est un personnage imaginaire dont l’ambiguïté permet toutes les folies. Il est malléable, il appartient à l’imagination et il ne cesse de s’enrichir au mépris de ceux qui voudraient que son interprétation soit unique.
On peut aussi prendre l’exemple des comics qui depuis plus d’un demi-siècle racontent les aventures des mêmes héros tels que Superman, Spider-Man ou encore Batman. Les auteurs défilent et si certains n’apportent rien à la légende, d’autres l’agrémentent d’un nouveau visage. Ainsi Superman : Red Son nous raconte ce qu’il serait advenu de l’homme de fer s’il aurait atterri en Union Soviétique plutôt qu’aux Etats-Unis. Batman est accueilli en frère dans Arkham Asylum de Grant Morrison et le Joker l’invite à revenir dès qu’il en aurait assez des fous à l’extérieur. Les X-men, au lieu d’être des mutants aux super-pouvoirs deviennent la prochaine évolution comportementale de l’homme : des sociopathes.
Transformer un personnage déjà connu pour lui donner un tout autre sens, cela reste encore minoritaire dans le jeu vidéo. Il adapte souvent sans prise de risque. Le média ne cherche pas encore a réinterpréter mais à mettre en scène un univers. Il a besoin d’être fidèle pour le moment. Ainsi les aventures de Sherlock Holmes des développeurs de Frogwares nous mettent dans la peau d’un Holmes des plus classiques. Même si cela n’empêche pas l’histoire d’être riche de références de clins d’oeil. Le Batman dans Arkham Asylum nous confronte à plusieurs adversaires de l’homme chauve-souri. Lui aussi, il collectionne les références à l’univers auquel il donne vie mais ne réinterprète ni n’approfondit l’univers. Le jeu insiste sur les pouvoirs et la cruauté souvent caricaturale des méchants. On est loin de ce qu’a pu faire Nolan lorsqu’il a transformé le Joker en un clown sérieux et anarchique.
Silent Hill Shattered Memories reste le seul exemple qui me vienne à l’esprit quant au renouveau d’un mythe. Le jeu revisite le personnage de Harry Mason en quête de sa fille comme un conte psychologique qui inclut le joueur dans la trame. Et pour une telle licence, je considère qu’il est enrichissant qu’elle soit confiée à d’autres studios. Même si elle se voit dénaturée comme avec Homecoming, Shattered Memories est l’exemple même des perles qui peuvent naître de ce genre d’initiative. Et c’est avec curiosité que j’attends le prochain Silent Hill développé, cette fois, par un studio Tchèque. Pour Metal Gear, réinterpréter ne serait pas une trahison. Kojima lui-même l’encourage et ce serait la moindre des choses pour un jeu dont l’un des thèmes principal est la libre interprétation. Que chaque ’soldat’ trouve sa voie.
Raiden est un personnage complexe auquel on peut rattacher de nombreux thèmes. Dans son passé, il était un enfant-tueur que l’on surnommait Jack l’éventreur. Puis ensuite, un soldat entrainé en réalité virtuelle et qui brise le 4 ème mur en s’adressant directement au joueur. Il peut être rattaché à des sujets comme : virtuel/ réalité, contrôle/servitude, joueur/personnage, système/individu ainsi que l’identité et l’héritage. Dans Metal Gear Solid 4, il est devenu un androïde ninja qui touche maintenant d’autres thématiques tels que la mort, la famille, la responsabilité, la déshumanisation… Reste à savoir si les développeurs se contenteront de faire un samurai ‘cool’ qui découpe les pastèques ou un peu plus que ça ? Il est difficile de faire des pronostics concernant Metal Gear Rising car rien n’est encore révélé sur le scénario. Cependant, il est intéressant de noter que tout comme cette nouvelle équipe est maintenant affranchie de Kojima, Raiden l’est tout autant de Solid Snake. Ils perdent leurs mentors respectifs, Raiden va devoir suivre ses propres principes et trouver ses propres motivations sans Snake pour le guider. Comme celui-ci lui a dit : « Je suis une ombre. Tant que tu me suivras, tu ne verras jamais la lumière du jour »